sw Pierre Sansot















Pierre Sansot
biographie

Dans le cadre du Festival des Identi’terres 2002

AUDE AU VENT

L’Aude du vent : quels bons vents vous mènent jusqu’à nous ?


Il m’arrive d’envier les privilèges des vents. Rien ne fait (enfin presque rien) obstacle à leurs caprices et ils bénéficient d’une ubiquité qui me sera refusée. Ils étaient à Ornaisons ou à Fontjoncouse et ils se dirigeront vers la mer s’ils en ont envie. Puis l’arrière pays leur manquera. Ils en languissent. Alors d’autres vents, leurs frères ou leurs cousins abandonneront les plages et se faufileront jusqu’à Saint Marcel ou Durban.


Si j’étais de leur espèce, je n’en finirai pas de rendre visite, hommage à des pays que j’aime pour emplir mes yeux de leur contours familiers et aussi pour éprouver un plaisir plus discret, plus subtil et au fond plus émouvant. Sous mes sabots célestes, les Corbières, une appellation tendre mais riche, retentiraient fièrement et par ailleurs je proclamerai Sallèles d’Aude, Saint Nazaire d’Aude, Saint Marcel d’Aude, Cascastel, Fraisse des Corbières sachant bien qu’il n’y a pas lieu de se tromper sur leur position géographique mais pour le bonheur d’entendre une nouvelle fois cette appellation d’Aude.


Je ne me lasserai pas de chevaucher à travers vignes et jardins, églises et écoles républicaines, éperons et châteaux, plaines et contreforts. Je ne me présenterai pas à l’improviste, ce qui serait un manque de politesse. Je hennirai à une certaine distance avant de m’approcher. Les enfants quitteraient leur école avec la permission de leurs maîtres. Ils arrangeraient un peu leurs vêtements, leurs coiffures et il crieraient tous ensemble « le vent arrive, vive le vent ». Un homme d’Eglise s’il n’était pas trop occupé ferait retentir les cloches.


Et voilà que je me donne plus d’importance que j’en ai. Et voilà que des rêves grandioses s’emparent de moi. Le maire de Peyriac de Mer ou celui de La Palme aurait, pour m’accueillir, revêtu son écharpe tricolore et des jeunes mariés m’auraient demandé de bénir leur union et de la rendre féconde.


Fourbu, reclu de fatigue, je me reposerai, quitte à inquiéter mes bons amis des Corbières ou du Narbonnais. « Mais enfin où est-il passé ? Nous a t-il abandonnés ? A t-il pris la fille de l’air ? » Un gamin lorsqu’il a fugué, cela se retrouve. Il suffit d’alerter la gendarmerie et de diffuser un avis de recherche. Les tableaux, c’est plus difficile mais un jour ou l’autre, on les retrouve sur le marché de l’art. En revanche, imaginez que l’un de nos vents s’évade. Où lui mettre la main ? Quel signalement en donner avec précision ? Je ne me manifesterai pas aussitôt. Toutes ces bonnes gens qui parfois récriminent, se plaignent de mon exubérance parce que je tords leurs parapluies, emporte leurs chapeaux, leurs crinolines, leurs foulards et soulève leurs robes, s’apercevraient que je suis un bon garçon que sans ma compagnie, leur paysage familier manque d’un élément précieux.


Autrefois quand la terre avait soif, les agriculteurs priaient pour que la pluie advienne et aide les récoltes à grandir (en période de vendanges, c’était l’inverse, on voudrait que la pluie épargne les travailleurs de la vigne). Si je disparaissais trop longtemps mon évanouissement aurait pour effet de multiplier les suppliques, les implorations. « Que nous arrive t-il ? » diraient-ils à haute voix. « Pourquoi ce hold-up atmosphérique, on nous l’a, sans préavis, transporté en Savoie, dans la Vanoise, dans les marais poitevins. Ce n’était pas que ces pays manquent de charme, mais ils ne sont pas les nôtres. Les vents qui y soufflent ne nous sont pas familiers. Ne croyez pas que nous nous laisserons abuser. » Vous procéderiez à un échange de vents. Comme je n’aime pas susciter l’angoisse de ceux que je j’aime, je ne prolongerai pas ma fugue, encore qu’il soit bien agréable pour un travailleur de se reposer et de ne plus coopérer à l’ordre (ou désordre) du monde.


 J’aurais d’abord dormi tout mon saoul près du Canal à Salles d’Aude ou d’un domaine de Fitou ou, « noblesse oblige », au Palais des Archevêque de Narbonne, ou encore au bord de la méditerrannée près de Fleury ou de Leucate. Mon réveil y serait encore des plus agréables. Quand le soleil hésite à paraître, que les plages sont désertes, que la mer pâlit d’avoir couché dehors, je me manifesterai doucement à la manière d’un zéphyr, comme aux premiers matins du monde, accompagnant de mes premiers soupirs une jeune fille en train de longer la plage.


On me reprochera de hausser le ton comme un grand seigneur, alors que je suis si peu de choses au regard d’autres vents qui règnent sur un empire ou un territoire. Les gens sont aujourd’hui si instruits qu’ils ont de la peine à s’émerveiller et qu’il leur faut à tout prix du spectaculaire, du grandiose. Ainsi ces vents terribles qui ravagent le Pôle nord et l’on admire que les eskimos gardent le sourire tandis qu’ils luttent contre eux pour avancer avec leur traineau et le pampero, rendu célèbre par un tango de l’avant guerre et qui s’épand tout le long de la pampa et il inspira des pas de tango que les bandoneons accompagnent. En Floride, ils atteignent, dit-on, des vitesse fulgurantes jusqu’à 300 kilomètre l’heure. Ils ont pour eux le prestige de l’exotisme, le typhon en Chine, le cyclone dans l’Océan Indien, l’ouragan dans les mers Caraïbes, « et tu oses parader alors que tu te déhanches de Boutenac à Armissan, de Fleury à La Nouvelle. Tu n’es qu’un fripon, un joli cœur, assez espiègle pour éclabousser quelques baigneurs et renverser un parasol. » N’oublie pas alors que les vents dont tu as parlé saccagent des stations balnéaires, font gicler l’eau à hauteur d’immeubles, font le vide où là il y avait du plein et du solide, plongent à la rue des milliers de familles.


Des rêves grandioses me visitent. Je gonfle mes poumons. Grâce à mon souffle généreux, mes vaisseaux de pierre telle l’abbaye de Fontfroide pourraient appareiller et puis parader autour de la  Méditerranée. Seulement durant leur absence les visites commentées seraient interrompues. Elles reprendraient lorsqu’ils auraient regagné leur port d’attache. Je reviens à plus de lucidité, pour l’instant je me contente de pousser vers le large quelques bouées d’enfant ou le chapeau d’un imprudent.


Mais ne nous faisons pas plus modeste que nous sommes. J’annonce, je proclame des pays plus ou moins proches. Vent d’Espagne et des parfums catalans affluent, vent grec et nous entrapercevons la barbe fleurie du Dieu Poséidon. N’oublions pas l’autan quand il nous arrive de Montauban et de Toulouse. Sans moi, sans la délicatesse de mes messages, saurions nous encore, d’une mémoire et d’une mémoire vivante, que nous sommes les enfants de la Méditerranée à laquelle nous faisons cortège et qu’autrefois, avec l’aide du vent, des vaisseaux transportaient du cuir, des épices, du blé, du vin d’une côte à une autre. Alors que m’importe que je n’ai pas le pouvoir de balayer la Sibérie, les plaines de l’Oural, d’immenses déserts. Mon territoire n’est pas immense mais c’est le mien, c’est le vôtre, c’est le nôtre.


A cet instant de mes confidences, j’aimerais remettre les choses au point. On prétend que le Sirocco venu d’Afrique déposa du sable au jardins des Tuileries, la vérité est toute autre. C’est moi qui ai charrié au jardin du Luxembourg un peu du sable de nos plages languedociennes, un peu de sable, juste assez pour que des enfants de Paris composent quelques pâtés.


J’existe et je n’existe pas. En vérité n’existe qu’une multitude innombrable de vents. Ainsi l’autan  brun, noir, blanc, prononcé à la mode provençale, bourguignonne, languedocienne, affublé de mille sobriquets qui en restituent les nuances. Et pourtant j’existe à la manière de l’eau qui existe au delà des fleuves, des rivières, des étangs et quand un prisonnier réclame de l’eau, tout homme un peu pitoyable entend sa demande, et nous portons en nous la pensée d’une mère dont nous procédons, dont nous attendons les gestes de tendresse, et ce n’est pas seulement celle qui nous a engendrés.


Ainsi quand l’un des mortels annonce « le vent s’est mis à souffler », nous savons, sans autre forme d’explication, le sens de son annonce. « Basses pressions », « hautes pressions », « multibarres », « Pascal », la science, je l’espère repose sur quelques fondements mais elle ne m’explique pas. Elle ne saurait me réduire à quelques déterminants physiques. Je n’ai pas eu à naître. Je me refuse à remplir une quelconque fiche d’état civil. Je suis comme l’Esprit qui souffle quand il veut et puisqu’il veut, et dont les insensés sont dépourvus si grand soit leur savoir.



Les vignobles du Languedoc ont acquis maintenant la notoriété qu’ils méritaient, cette assomption est due à la terre, au soleil et surtout à l’intelligence et à l’opiniâtreté des vignerons. Néanmoins, je ne crois pas être étranger à un tel succès. Je vis en accointance avec les pierres, les hommes, les plantes de ce pays. Ils savent que je suis de leur côté, que je suis prêt à leur donner, en cas de besoin, un coup de main. J’encourage le thym, le genévrier, le fenouil, à être, à croître, à répandre leurs parfums. Je me mêle à leur chorégie et j’ai parfois le sentiment d’en être le chef d’orchestre. Le résultat, c’est l’élaboration d’un vin à mon image, indocile, pétillant de malice, qui a du corps et encore plus du nerf.

Auraient-ils la même destinée si ces plants croupissaient dans une purée de pois et si je ne dissipais pas les humeurs malignes !


Je suis la vie, je suis du côté de la vie. Je rends la vie plus vivante et plus digne d’être honorée. J’existe en accointance avec ce que vous êtes et ce que vous aimez. Ainsi mon intelligence avec le rugby, avec le vin, avec les pierres, ne souffre pas la contestation. Le ballon ovale (et non point bêtement rond) se livre spontanément à toutes sortes de rebonds qui sont souvent de mon fait et pour l’avoir bien en main, il faut le plaquer presque amoureusement contre son corps. Les joueurs d’expérience, par leurs feintes de passe, leurs dribles, leurs « sautées » le dérobent à leurs adversaires (et parfois hélàs à leur partenaires). Un troisième élément (moi-même, le seizième joueur) ajoute à ce merveilleux  caroussel et, de surcroît, par temps sec, il s’élève plus haut dans les airs (et il me faut de la libéralité pour la restituer à la terre des hommes). Le spectacle fantasque ne supporte pas le laisser aller, le relâchement. Bien au contraire, il faut faire preuve d’une extrême vigilance (pour anticiper le presque imprévisible), le reprendre en main et le discipliner avant de le libérer à nouveau. Une pelouse, c’est alors une pelouse horizontale, aux alentours des poteaux droit comme un i mais aussi l’immensité du ciel, ce sont des corps arqueboutés au sol et aussi les mains suppliantes de joueurs en élévation, du coté de l’azur à hauteur des Corbières.


Il m’arrive de ne pas me présenter au rendez-vous car j’ai autre chose à faire que de contenter un public exigeant et versatile, et la rencontre sans moi n’est pas sans intérêt. Elle prend une autre allure. Ainsi par ciel bas, sur un terrain détrempé, s’ils ont choisi le jeu au sol, ils avancent groupés, ramassés sur eux mêmes, ils plaquent, ils se relèvent, ils se mascarrent de la boue de leur stade.


J’admets une telle alternance. Je me dis qu’un autre jour nous pourrons éprouver l’envie de partager le ciel avec des demi-dieux et des astres éphémères. Ils savent d’ailleurs que je fais tout pour les favoriser à peu près loyalement et pour que leurs visiteurs n’éprouvent pas autant de clairvoyance à l’égard de mes foucades. Il est conseillé, et ce fut souvent le cas du RCNM, de disposer d’un excellent n°10 capable de trouer les airs et de ramener le jeu là où l’adversaire ne l’attend pas.


Au rugby comme ailleurs j’inspire une leçon de sagesse à ceux qui savent m’observer et tirer le meilleur parti de mes énergies. Ainsi le planchiste et le navigateur n’avancent pas vent debout. Par d’habiles manœuvres, ils en usent efficacement. D’une manière plus générale, il vaut mieux m’accueillir que me refuser, et l’hiver me vouloir, me respirer joyeusement, front contre front surenchérir en densité d’être, en totale lucidité sur le défi que je propose.


Comment se conduire dans notre Narbonnais ? Les uns maugréent, me détestent, crient leur malheur et il vaut mieux qu’ils nous abandonnent. D’autres composent avec moi, l’acceptent comme un élément de leur paysage quotidien. Dans un plat pays, égal à lui même, morne à souhait, ils étoufferaient.


Ils s’intéressent de bon cœur à mes états d’âmes. Ils pressentent ma venue, ils l’observent ironiquement. Ils prennent plaisir à m’anticiper dans certaines conditions. A Narbonne et dans quelques villes voisines, tandis qu’une torpeur estivale nous engourdit, ils devinent avant les autres la venue du marin, sur les plages puis à quelques kilomètres de la côte et enfin chez eux. En d'autres circonstances, l’automne sentait le moisi. Un coucher de soleil de couleur rose les avertit d’un changement d’humeur. Plus ils vont au devant des premières morsures de l’hiver qu’ils acceptent comme l’annonce d’une nouvelle saison à vivre pleinement comme toutes les autres saisons, le Marin, le Nord, l’Espagne, tout leur est bon et c’est ainsi qu’ils vivent heureux.


Quand nous pensons au patrimoine, nous songeons aux éléments les plus visibles : les pierres, les œuvres d’art. Il existe d’autres réalités moins manifestes comme un certain accent, un certain usage du monde. Je prétends avoir légitimement ma place parmi ces signes presque immatériels.


Bientôt un parc naturel, quoi de plus naturel que le vent que l’on na pas trouver le moyen de fabriquer. Je ne suis pas exportable, je ne suis pas « consommable », si je puis dire, en dehors des lieux où je me produis.


Laissons maintenant la parole à un poète pour lequel l’espoir vient des airs. « Au plus haut de l’orage, il y a toujours un oiseau pour me rassurer. » René Char


Et, de mon côté, sur le mode de la métaphore à l’adresse des collégiennes, compagnes espiègles de l’Azur et du Cers, prince de l’Empire d’Eole, « Petite fille ne trempe pas tes nattes dans l’encrier noir des nuages. Attends que je débarbouille le tableau et alors seulement entreprend avec tes camarades de classe la farandole des mots nouvellement acquis et les formes géométriques presque parfaites. »



A écrit notamment :

Narbonne, ville ouverte (Fata Morgana)

Du bon usage de la lenteur (PAYOT)

Chemins aux vents (PAYOT)

écouter extrait du texte
lu par Jean Costadau (8mn08)

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