fermer X



Jean Eustache
L’infini de la nostalgie.

Qu’importe qu’il soit natif, pour l’état civil, de la Gironde, de Pessac où il filma ses fameuses rosières, la mémoire narbonnaise a naturalisé à jamais Jean Eustache, en faisant un de ses hérauts emblématiques.

La légende, dans le creuset où elle construit ses formes, a toujours soin d’estomper les aspérités et les contradictions, or c’est le dilemme, le rejet de ce qui précède, l’insatisfaction, qui sont au cœur de l’œuvre de ce créateur si singulier. La première tension vient de la nature même de ce cinéma : sont-ce des films ethnographiques, tels les deux Rosières de Pessac ou Le cochon, des films de fiction comme Mes petites amoureuses ? Doit on croire Eustache quand il dit : « avoir fait des films documentaires qui ressemblent à des fictions et des fictions à des films documentaires » ? En fait l’ambition du projet est totale, ce qui lui importe c’est de revenir aux sources, aux premiers films des frères Lumière, oubliant qu’eux mêmes s’étaient exercés aux deux genres. Cette course infinie après le réel, ce déchirement à restituer l’essence même du monde, le conduisent à une solitude absolue, dans la vie et dans la ville, le transformant un peu en Meursault, avec « le sentiment de vivre en période occupée, où la seule possibilité du créateur est la non-collaboration ».

Les sources du drame sont anciennes et sans doute se donnent-elles à lire dans les films les plus personnels comme Le Père Noël a les yeux bleus et Mes petites amoureuses où se déploie toute la thématique existentielle de Eustache, la difficulté et la souffrance d’être adolescent et la quête absolue de la passion amoureuse et de ses échecs. Frères des Mistons de Truffaut les personnages, « déplacés », et obligés de vivre dans un nouveau contexte, une nouvelle ville, s’efforcent en permanence de compenser leur infériorité intérieure et leur doute sous des attitudes de bravache les plus maladroites et c’est cette inhibition, cette inquiétude, que perçoivent les filles qu’ils essaient de séduire et qui les rejettent inquiètes d’un tel maniérisme. Ainsi donc va la quête, entre fantasmes et inventions, hantises humiliantes, rêves inassouvis, forfanteries de bistrot. Mais, à terme, cet échec c’est aussi celui du cinéma, de sa dimension d’exorcisme qui devait aider à purger le malheur et qui n’y parvient guère. En fait le cinéma n’a pas d’influence, il n’a aucun pouvoir sur le quotidien, les choses ou les gens, il ne sauve pas mais, au contraire, renvoie à la plus infinie des solitudes.

 Demeure cependant, pour les spectateurs, ce miroir précieux qui reflète la géographie mythique de Narbonne, les cafés comme hauts lieux de la ville, les étapes du parcours initiatique de la jeunesse, le vol des livres à l’étalage, le photographe ambulant, les « clopes », les baisers volés…Aussi, chaque automne, quand le « marin » emporte les feuilles mortes sur « les barques », quand la brume rôde au bord du canal, le fantôme de Jean Eustache, convoyeur des souvenirs, se fait-il plus présent et plus chaleureux.     


Quelques films.

- Du côté de Robinson, 1963.

- Le Père Noël a les yeux bleus, 1966.

- La rosière de Pessac, 1968.

- Le cochon, 1970.

- Mes petites amoureuses, 1974.


texte écrit par Jean-Pierre Piniès

© PNRNM tous droits réservés