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Matias Spescha
Dans le dépouillement de l’art

  Aux dernières saisons, la main déformée et tremblante, incapable de tracer la ligne juste, il en appelait, dans une impuissance irascible, au secours de la fidèle servante, sans concevoir, même un instant, d’interrompre la quête commencée près de soixante dix ans auparavant. D’abord dans les Grisons natals, où l’apprenti tailleur dérobe, pour les consacrer au dessin, quelques heures à son travail, puis à Zurich où, pendant plusieurs années, il peint des affiches de cinéma avant de suivre les cours de l’Académie de la Grande Chaumière à Paris. Epoque de frénésie où il s’agit de rattraper le temps perdu, à l’ombre des maîtres, Picasso ou Braque, mais surtout Cézanne, « le père », et Marcel Duchamp, référent définitif et permanent pour le peintre puis pour le sculpteur. L’intensité de la recherche, le souci de fuir la mondanité des salons et des galeries, la nécessité impérieuse de la lumière, le conduisent comme d’autres, de Matisse à Piet Moget en passant par les Fauves, à cette déambulation vers le Sud et à la découverte, en 1958, de Bages où, désormais, il passera le plus clair de sa vie. Bages c’est la solitude solaire de ce village de pécheurs rustique et sans confort, gage de simplicité et de tranquillité où les longues heures de méditation et de préparation dans l’atelier dénué de confort, si l’on excepte un gros poêle à bois pour les jours répétés où souffle le cers glacial, ne sont interrompues que par des rencontres conviviales avec les autochtones qui savent respecter, cependant, les heures d’indépendance silencieuses de la création.         

Car, dans cette œuvre singulière, la méditation tient la première place, et le projet se veut aussi esthétique que moral, sans concessions aux modes ou aux foucades du monde étriqué de l’art, sans qu’un romantisme conventionnel ou la mièvrerie des bons sentiments et des émotions n’aient leur place. Maillon dans la chaîne de l’art, ne souffrant pas de s’éloigner de ses règles essentielles, l’artiste se sent investi d’une mission à laquelle il ne peut déroger, gouvernée par la persévérance et l’endurance aux épreuves qui se dressent entre projet et maîtrise de la matière. Dessins, tableaux, sculptures, installations, traduisent au fil des jours cette exigence : peu à peu les paysages ou les personnages initiaux se fondent dans l’abstraction des formes et des volumes, les traits encore visibles se transforment en à-plats, la palette se réduit à quelques teintes essentielles, l’essence même de la forme triomphe dans des compositions de plus en plus épurées. La production se déploie en deux lieux bien distincts, l’espace libre et sans limites virtuelles accueille les constructions et les sculptures, tandis qu’aux musées sont réservées des créations aux dimensions plus modestes. Dans tous les cas, l’artiste, seul maître de l’harmonie, met en place lui-même, minutieusement, des toiles et des installations qui se veulent traces infinies de la vérité intrinsèque de l’art.

Matias Spescha est décédé en 2008.

texte écrit par Jean-Pierre Piniès


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