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L'île retrouvée / Le plateau de Leucate

"Est-il destin plus accablant..." que celui d'une île ancienne abandonnée par la mer ? Ile perdue, en dérive, "veuve du grand large", prisonnière des sables littoraux. Malgré ce naufrage et cette atterrante nostalgie de la haute mer, ce plateau qui s'ouvre sur de vastes horizons, abrupte falaise dressée contre les vents du large, conserve une forte identité ilienne.

Les marins grecs ont rêvé de ce littoral mais n'ont laissé comme signe de leur passage, ni port, ni temple, ni dieux mais une simple appellation leukos pour dire la seule blancheur de ce rivage et sa luminosité. Les chorographes latins à leur suite ont assumé l'héritage, "Ultra est Leucata, littoris nomen", qualifiant le cap lui-même de "Promontorium Album ou Candidum", exhaussant dans la candeur d'une évidence la seule beauté du site : la pierre, les hauteurs, le vent, la "mer aux larges voies"... En somme la talité d'une expérience immédiate ou la réalité telle qu'elle est.

L'héritage fut tenace et encore aujourd'hui, le promeneur face à la mer, pressent des paysages lointains par delà les brumes de l'espace et du temps. Ici on invoque la Grèce, l’île de Leucade et Sapho, l'épopée homérique, la blanche Nausicaa... Les vieilles familles du village revendiquent d'antiques racines et les filiations légendaires ressurgissent dans les noms de baptême des natifs de ces rives : Ulysse, Zénon, Olympe, Osiris, Pélagie, Minerve...

Au XVIIe siècle, l'Espagnol tenta de réconcilier la presqu'île avec son destin premier. Il creusa une tranchée dans la vase et les sables marins depuis l'étang du Paurel jusqu'à celui des Sèches pour la soustraire au territoire français et la rattacher symboliquement à la Catalogne. Une carte de 1639, en topographia l'avènement, rendant même à l'étang sa désignation originelle de Lacus Sordicenus.

Mais “le caillou” comme l'appelaient les anciens Leucatois n'est pas le seul domaine des ermites, des poètes ou des guerriers. Bergers, agriculteurs, pêcheurs se sont échinés au long des siècles pour tenter d'en tirer parti et d'y vivre. Au XVIIIe siècle, de Gensanne chargé par les Etats du Languedoc d'inventorier les ressources de ce territoire, en brosse un tableau peu amène : "Tout le territoire de Leucate est très  sablonneux mêlé de beaucoup de roches calcaires et peut être regardé comme très ingrat, il n'y a guère que la pêche qui laisse subsister les habitants de ces cantons". Les seigneurs locaux, besogneux pour la plupart, surent exploiter ces maigres ressources, en prélevant leur principal revenu des pâturages de l'île, garrigues et terres salées incluses.

La misère aidant, l'agriculteur puis le viticulteur disputèrent ces lopins  incultes  au berger pour, dans un premier temps,  y cultiver la pierre, les écartant pour y chercher un peu de terre, un peu d'espoir à retourner, à fumer, à disputer au vent, à l'érosion, en la récupérant inlassablement dans des paniers d'osier. Immense et interminable labeur de dépierrage. Roche brisée à rassembler en clapas, en terrasses, en murets, en restanques  et en faïsses. En lutte perpétuelle contre le soleil, la sécheresse et les vents... Et à l'intérieur des champs enclos, conquis de haute lutte, comme si cela ne suffisait pas, ils érigèrent encore, pour ancrer cet univers instable, à distance régulière, de longs alignements rectilignes et parallèles, de pierres dressées. Ce dispositif appelé par certains fachaetos (de l'oc. faissetas "petites bandes de terre) semble destiné à piéger l'humidité du sol et surtout à endiguer l'érosion éolienne. Il subsiste dans toute la partie orientale du plateau, où son réseau de plates-bandes minimalistes augmente de densité à l'approche des falaises, et vient buter sur l'ancien sentier des douaniers. La structure lithique de ce "jardin des humbles" est un témoignage unique dans tout le Languedoc des garrigues. Et l'on cherche encore naïvement, du coté de la Leucade grecque, des éléments de réponse !

Les viticulteurs d'aujourd'hui, conscients de ce destin singulier,  poursuivent dans "ce reliquaire élu de la légende et de l'histoire" le travail des anciens. Et malgré un tourisme envahissant, le plateau reste en dehors de la période estivale le lieu possible du songe et du repos. En février les chemins qui serpentent entre les parcelles des vignes sont saupoudrés de la neige rosée des amandiers alors que vers l'ouest et le sud, les serres des Corbières et les Albères s'estompent dans leurs tonalités bleues.    L'ancien fanal, ultime rescapé des forts qui gardaient la côte n'est plus, au même titre que le plateau, le poste d'observation privilégié de l'ennemi venant du sud ou de la mer. Nous n'attendons plus personne, pas même de marin grec.

Ile retrouvée, lieu de passage et de solitude reconquise. Il n'y à plus rien à attendre ici, sur la grande route des oiseaux migrateurs et des nuages blancs.

texte écrit par Marc Pala

Catégorie: 5 / 7.  Pierre sèche /  Haut lieu

Bibliographie:

Sur Sapho et le thème du veilleur, Malagaïto, petit clin d'oeil à Baudelaire (poème 131, Lesbos in Les Fleurs du Mal):

"Et depuis lors je veille au sommet de Leucate,

Comme une sentinelle à l'oeil perçant et sûr,

Qui guette nuit et jour brick, tartane ou frégate,

Dont les formes au loin frissonnent dans l'azur "

Carr Mariane (sous la direction de), 1999, Perièra, le plateau auquel on ne s'attend pas in Guide des Randonnées Interprétatives, Imp. Graphisud, Narbonne.

Pala Marc, 2010, Approches du monde blanc, Laucata littoris nomen in Mémoires du vent d'est, Cahiers de la Salce 2.

Viard Jean, 2006, Un jardin d'humbles, Leucate (plateau) ou la beauté du travail des hommes in La Narbonnaise en Méditerranée, regards croisés sur un parc naturel régional, Ed. de l'Aube



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