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"Pauvre pécheur" / L'anse de Saint-Paul (Peyriac-de-Mer)

La route des étangs, D 105, entre Bages et Peyriac, qui offre une des plus belles perspectives sur le monde flottant du littoral, a favorisé l'atterrissement d'anciens îlots (La Table, Les Pujols, Roc du Salin...) et contribué, en formant digue, à l'enclavement des eaux d'un petit golfe, devenu l'étang de Saint-Paul. Dans cette anse, entre l'Uelle et l'Ilette, la tradition situe au IIIe siècle l'accostage de saint Paul-Serge, l'un des sept apôtres de la Gaule, envoyé pour évangéliser le pays après les persécutions (vers 250-51) de l'empereur Dèce.

Une modeste croix, en bordure de l'étang et de l'ancien chemin  des salines d'Estarac, commémore cet événement fondateur, l'arrivée de Paul, premier évêque de Narbonne.

Autrefois, les gens du pays montraient au visiteur les empreintes laissées par les pieds et le bâton de Paul dans une pierre vénérable, intégrée au socle de la croix. Ils vous conduisaient, au lieu-dit les Carrières, vers l'entrée de ce petit étang, pour contempler une autre merveille : "le bloc de roc vif dans lequel saint Paul, rien qu'avec son couteau, et en moins d'un quart d'heure, tailla aux pêcheurs assemblés, un esquif avec lequel, là-bas vers l'île Haute, ils remplirent leurs baquets de dorades et de rougets..."  En ces époques de piété naïve mais forte, on aimait montrer tous ces signes humbles, transfigurés par la foi, témoins du passage et des miracles du saint.

Car si l'Histoire est peu documentée sur la vie de Paul en revanche la légende prolixe se plaît à en combler les lacunes. Elle nous raconte, avec humour, les difficultés rencontrées par Paul dans sa mission d'évangélisateur principalement avec aquels cluscatestuts de Bajòts e de Peiriagòts. Tourné en ridicule, jeté à l'eau, presque noyé, vendu pour une poignée de châtaignons... Paul tenace, s'imposa néanmoins  par ses miracles et une malédiction jetée sur un pécheur  moqueur qui "fut subitement atteint à l'épine dorsale d'une faiblesse telle qu'il ne put marcher le reste de sa vie, infirmité qu'il transmit à ses descendants...". Mais ce mauvais sort fut conjuré dit-on, quinze siècles plus tard, par un Montagnac, de la lignée de ces claudicateurs et de surcroît maire de Bages qui fit redresser deux statues en bois des saints Pierre et Paul, si tordues qu'on disait : "Se ten de travèrs coma los sants de Bajas".

La croix de l'anse de Saint-Paul, où l'on se rendait naguère en procession,  renvoie, si ce n'est à l'apôtre lui-même, du moins à un environnement riche en trouvailles archéologiques et en documents d'archives. Dans les années 1950, des défonçages de vignes ont mis au jour des fragments de dolia et d'amphores tardives, des silos et plusieurs tombes d'une nécropole médiévale répartie autour d'une église. Des textes qui s'échelonnent tout au long du Moyen Age font allusion à un habitat : la villa Gragnacum dès 782, une église en 1119 et l'exploitation par les habitants de Saint- Paul de salines appartenant depuis le IXe siècle à l'abbaye de Caunes. Cette église de Saint-Paul de Granières dont le nom revient à plusieurs reprises dans les Inventaires de l'Archevêché de Narbonne s'est installée à proximité d'un foyer de peuplement remontant probablement à l'époque antique. Autour de la croix, on peut encore remarquer les vestiges de quelques inhumations en pleine terre et des pierres taillées provenant de l'ancienne église dont se devinent les substructions.

Parmi les nombreux miracles de saint Paul relevés par l'hagiographie, les quatre derniers sont en rapport avec des barques et le symbolisme de la navigation ce que semble souligner un bas-relief de 1668, sur une façade non loin de l'église de Peyriac. Il représenterait Paul dans sa barque de pierre voguant sur l'étang, avec cette inscription : "Dieu te regarde pécheur".

Sainte Réparate dont le culte est attestée à Sigean dans une donation du IXe siècle a comme Paul partie liée avec le symbolisme des "barques à la dérive conduite par un animal". En compagnie de nombreux autres saints dont Dévote guidée par une colombe, Tropez accompagné par un coq et un chien, Paul avec une grenouille en guise de timonier... elle s'inscrit dans une mythologie chrétienne qui plonge ses racines dans un fonds culturel archaïque. "Culte phocéen" ou "croyances des peuplades celto-ligures" s'interrogent les ethnologues qui travaillent sur le légendaire des rivages de Provence et d'Italie ? La croix de Saint-Paul avec sa pierre à cupule et ses bassins pédiformes semble s'inscrire dans cette problématique qui renvoie à des pratiques cultuelles pré-chrétiennes, aux temps anciens des géants lithophores. Dans ce contexte, l'évangélisateur Paul comme le souligne D. Fabre "a des traits du géant bienfaiteur, il est bien proche de Gargantua et surtout de Roland".

Les légendes ne sont pas qu'un tissu de naïvetés, elles ouvrent, pour qui sait les lire, de nouveaux champs à la connaissance et à la rêverie. Encore un miracle de Paul...

texte écrit par Marc Pala

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Catégorie: 4 / 3. Légendaire / Religieux

Bibliographie :

Birat Hercule, 1860, Poésies narbonnaises, 2t., Ed. E. Caillard, Narbonne.

Bonnet Etienne, 1951-52, L'Etang de Saint-Paul près de Peyriac-de-Mer  in BCAN, t. 23.

Fabre Claudine et Daniel, 1978, Récits et contes populaires du Languedoc / 3, Gallimard.

Guérin Paul, Les petits Bollandistes, vie des saints, 20 vols., Ed. Saint-Rémi (reprise de l'édition complète de 1880).

Hulard Guillaume, 1360-1364, Compilation de textes anciens sur saint Paul de Narbonne, Ms 4, Bibl.Mun. Narbonne

Magail J. et Giaume J.M., 2002, Mythologie chrétienne, les saints venus de la mer, in Le comté de Nice (Identité, mémoire et devenir), Actes du colloque de Nice.



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