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Notre-Dame des Oubiels / La Reinadouïro




La plus ancienne mention du nom de lieu Oubiels se trouve dans le second testament d'Adélaïde, vicomtesse de Narbonne, qui donne en 990 à sa bru Richarde, un champ appartenant à la villa Ovilis qui est ad ipso Genestare. Limité au sud par la terre du Ginestas, ce tènement pentu et caillouteux des Oubiels s'étire en rive gauche de la Berre. Il doit son nom au latin ovis, ovilis : « brebis » qui atteste de sa probable vocation pastorale.

Emile Barthes qui prétend qu'à l'origine locus Berrae et villa Ovilis ne sont au fond qu'une seule et même chose confère au territoire des Oubiels une étendue surévaluée, comprise dans « un carré d'environ 18 km de côté ». Pour lui, ce terme désigne « le nom même du pays » et « l'importance de sa juridiction spirituelle ». Car s'il n'y a pas à proprement parler de seigneurie des Oubiels, son territoire étant morcelé entre plusieurs juridictions : Montpezat, Treilles, Durban, Fontjoncouse, Joncquières…, Barthes fonde son unité sur le « caractère religieux de la Madone qui règne sur la Berre » et dont l'aura « s'étendit au-delà de Narbonne et sur tout le littoral des étangs ». On voit avec quelle foi et quelle conviction le chanoine de Portel entend bâtir son mythe. Nous touchons ici au fondement d'une autochtonie portelaise qui relayera au fil des générations un savoir éminemment orienté et subjectif. Dans cette perspective qui se veut et se construit au cœur de l'histoire locale et régionale, le sanctuaire de Notre-Dame ne pouvait « s'élever qu'en cet endroit et pas ailleurs ». C'est-à-dire au bord de la Berre, sur un gué de la voie Domitienne, en lieu et place d'un antique autel païen (en l'honneur bien sûr du fluvius Birrae), non loin d'un supposé monastère d'anachorètes dit de Laureda ou du Viala, à proximité du site d'une célèbre bataille où se joua en 737, toujours selon Barthes, le sort de l'Occident chrétien !

Si toute cette construction est aujourd'hui remise en cause par les avancées de l'archéologie et une autre lecture de l'Histoire, il en subsiste, malgré tout, l'essentiel : le sanctuaire. Là encore rien ne prouve l'existence d'un oratoire primitif des V-VIe siècles, dédiée à la Très Sainte Vierge. En revanche, une chapelle ou église Sancta Maria de Ovils apparaît dans une charte de l'archevêque de Narbonne en 1080 puis aux XIIe et XIIIe siècles dans des actes relatifs à la manse épiscopale de Fontfroide. Barthes envisage que ce sanctuaire aurait pu être remanié sous la direction de l'abbaye et transformé en cette « belle et grande église Notre-Dame ». Un autre récit de fondation met en scène un mystérieux personnage (Charles le Boiteux ?), apparenté à Saint-Louis, qui, en reconnaissance de sa libération « miraculeuse » des geôles aragonaises aurait confié à l'archevêque de Narbonne Pierre de Montbrun (1272-1290) la somme nécessaire à l'édification de 3 églises : Saint-Paul de Peyriac-de-Mer, Saint-Martin-du calvaire à Sigean et Notre-Dame-des-Oubiels.

Nous ne savons pratiquement rien de l'ancien sanctuaire du XIe, mais des sculptures de facture romane, à décors de palmettes et entrelacs, en réemploi dans les murs de Notre-Dame, pourraient en provenir. Il aurait été entièrement remanié au XIVe siècle voire au XIIIe finissant. « Les chapiteaux de feuillage décorés sans doute d'acanthe, vigne, lierre, peuplier, démontrent bien aussi cette époque d'un gothique achevé, le XIVe siècle… », analyse Robert Pirault. Un rector de Ovilibus est attesté en 1351, il confirme la fonction paroissiale de cet édifice qui desservait les paroisses de Portel-des-Corbières mais aussi de Las Tours, du Castelas et de l'Améric (Viala de Laureda ?) d'où son emplacement à l'écart. Probablement abandonné au début du XVIIe, il aurait cédé la place vers 1644 à une nouvelle église paroissiale, dédiée à Notre-Dame de l'Assomption et des Oubiels, implantée à Portel-des-Corbières même. En 1909, des travaux effectués sur l'emplacement de cette ancienne église villageoise ont révélé un ensemble sculpté remarquable provenant de la Gleiso Vieilho des Oubiels.

Point n'est besoin de voir dans cette ruine majestueuse, ajoute R. Pirault, des destructions opérées par l'ennemi aragonais vers la fin du XVe ou un siècle plus tard, par les Huguenots. Il se pourrait fort bien que sa voûte se soit effondrée sans nul coup de pouce sacrilège, seulement fragilisée par son élévation et son propre poids, « par trop de prétention » des constructeurs. Doit-on ici regretter l'humilité romane, ses sanctuaires trapus et ramassés alors que ce qui fait la force de ce paysage bucolique c'est justement cette tentative d'élévation, ce style triomphant, tout en croisées de voûtes qui rivalise avec les falaises de la Reïnadour, ces belles fenêtres ogivales qui laissent entrer la lumière de cette vallée dite du Paradis. Mais R. Pirault, tout en regrettant cette mentalité démiurgique, n'en aimait pas moins ce vallon fléché par sa construction. Dans un « circuit des églises romanes en suivant le temps » qu'il organisait régulièrement, Notre-Dame-des-Oubiels clôturait toujours la visite. Elle était l'aboutissement à l'époque gothique de l'évolution de l'art roman des Corbières. Elle clôturait une leçon d'architecture commencée à Saint-Félix de Castelmaure. Il aimait dire : « même ruinée, elle reste comme la clé de la vallée ».


Notes et Bibliographie :

Tout l'édifice construit par le chanoine Barthes autour de Notre-Dame des Oubiels et du plateau de Deume-Gratias repose sur une vision sacrée de l'histoire et une profonde dévotion mariale. La Madone des Oubiels ou Reinadouïro est, selon une étymologie contestable, dite Reine du Fleuve, du Gué, des Bergeries, de la Victoire reconnaissante… Le site supposé de la bataille de la Berre devient « le théâtre sacré de la victoire des chrétiens sur les fils de Mahomet » et la dîme du poisson et du sel (mentionnée dans une charte tardive de 1080) « le tribu sacré offert spontanément par les pécheurs après la Victoire ». Dans cette perspective, la chapelle des Oubiels ne peut être qu'un sanctuaire votif et d'action de grâce. « Par là, ajoute-il, elle résume l'histoire religieuse du pays… et elle s'élève au rang des plus illustres sanctuaires de France ». Pas moins ! L'enfant du pays, brillant érudit, « exilé » à La Rochelle, ne pouvait être plus reconnaissant, plus aimant, envers son village natal, Portel-des-Corbières.

- Barthe Emile, 1916, « Sainte-Marie des Oubiels à Portel », éd. Noël Tixier, La Rochelle

- Pirault Robert, 1987, « Dans le jeu de la terre et de la mer », Candella, Narbonne

- Pirault Robert, 1995, « Les églises romanes de la vallée du Paradis », SPN, Narbonne.